La Chine a réalisé un test à grande échelle de sa monnaie digitale de banque centrale “DCEP” à l’été 2020. Des commentateurs des progrès de la Chine dans ce domaine soutiennent que cette monnaie permettra d’effectuer des paiements quotidiens rapidement, facilement et à moindre coût, et de contribuer à l’internationalisation du renminbi dans le monde. La réalité est beaucoup plus nuancée.
Une monnaie digitale de banque centrale
Elle représenterait un développement positif en termes de performance et d’expérience utilisateur dans des pays ou l’infrastructure de paiement électronique n’est pas très développée. En Chine en revanche, le DCEP n’apportera pas de plus-value pour les utilisateurs par rapport aux portefeuilles électroniques Alipay et Wechat Pay déjà très populaires. Les premiers tests le confirment : “La nouvelle monnaie est similaire à Alipay et Wechat Pay” et “Je ne l’utiliserai plus, sauf si de nouvelles enveloppes rouges sont distribuées” sont parmi les premiers retours rapportés par Reuters et SCMP. L’adoption par la population chinoise dépendra donc des incitations, financières et autres, à l’utilisation de ce nouveau moyen de paiement électronique “d’État”.
La monnaie digitale de banque centrale devrait faciliter le règlement et livraison des transactions électroniques effectués en arrière-plan, processus qui peut aujourd’hui prendre jusqu’à plusieurs jours dans les pays ou les paiements instantanés ne sont pas implémentés. Ce ne sera pas dû à la technologie elle-même, mais simplement au fait que le “jeu d’écriture” binaire des 0 et des 1 dans un livre comptable électronique ne sera plus un jeu mais une réalité légale.
Le prix payé par les utilisateurs pour utiliser une telle infrastructure devrait en théorie être inférieur au prix pratiqué par les réseaux de paiement existant (de 1,5% à 2.5% pour Visa et Mastercard, environ 0,6% pour Wechat Pay et Alipay). Un gain potentiel aurait peu à voir avec la technologie elle-même, mais serait dû au modèle d’affaires d’une infrastructure publique par rapport à celui d’une infrastructure privée. En pratique, “quelqu’un” devra financer la maintenance du système. Ce seront soit les contribuables, ou bien les utilisateurs si l’État décide de prélever une taxe sur chaque transaction. Par ailleurs, rien ne garantit qu’un système opéré par une administration soit plus efficace qu’une solution privée. L’expérience prouve souvent le contraire.
Une technologie de transfert basique !
La technologie pour transférer la monnaie électronique est triviale et son coût est dérisoire en soi : cela consiste à écrire des 0 et des 1 sur des disques durs d’ordinateurs à travers une connexion Internet. Ce sont les contrôles encadrant les transactions monétaires qui sont compliqués et coûtent cher, particulièrement les contrôles de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, la prévention de la fraude, les mesures de cybersécurité et la réconciliation des données entre les différents systèmes. Or les régulations, la fraude, les hackeurs et les silos technologiques ne vont pas disparaître par magie du fait de l’introduction d’une monnaie digitale de banque centrale.
Le paiement électronique, qu’il soit domestique ou transfrontalier, n’est pas tant un problème technologique qu’un problème de gouvernance, de standard et de régulation. Lorsque des touristes Chinois payent un commerçant Français avec Wechat Pay, quatre intermédiaires minimums sont nécessaires : Tencent le développeur de Wechat, un fournisseur de services de paiement en euro accepté par le commerçant et plusieurs banques qui feront la conversion RMB / EUR et assureront les règlements entre les acteurs. Le fait d’introduire le DCEP ne changera rien à cet état de fait, toute chose égale par ailleurs. Si le commerçant utilisait le même portefeuille électronique que son client chinois et acceptait d’être payé en DCEP le processus serait beaucoup plus simple… Mais ce serait la même chose si le commerçant avait un portefeuille Wechat et acceptait d’être payé en RMB !
C’est la même raison pour laquelle des personnes dans deux pays différents peuvent échanger des bitcoins de manière relativement simple : ils utilisent un même système avec ses propres règles, en boucle fermée. Dès que l’on ajoute des contraintes comme la conformité légale ou la conversion en monnaie locale, on réintroduit des intermédiaires (échanges), des contrôles et des coûts supplémentaires.
Les mêmes principes s’appliquent pour l’internationalisation du RMB. Des acteurs publics ou privés pourraient très bien décider d’utiliser le DCEP en boucle fermée pour effectuer des transactions avec la Chine. Tout comme la Russie, la Chine et l’Iran pourraient utiliser les réseaux de paiement alternatifs SPFS, CIPS ou SEPAM indépendants du réseau SWIFT pour effectuer des transactions avec des partenaires, s’ils le souhaitaient. En pratique, ces systèmes sont peu utilisés, par absence d’effet « réseau » (peu d’acteurs économiques participant), et pression politique évidente. L’internationalisation du RMB n’est pas tant un problème technologique, qu’une question de standards et d’incitations économiques et politiques.