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Interdiction des plateformes cryptos non enregistrées: coup de bluff ou couperet ?

Le délai de 12 mois laissé aux prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) pour s’enregistrer auprès de l’AMF arrivera à expiration le 18 décembre 2020.

Alors que l’AMF et l’ACPR ont rappelé avec insistance, par un communiqué du 23 novembre 2020 puis à l’occasion de la Paris Blockchain Week début décembre, le discours martial des autorités provient vraisemblablement de plusieurs causes qui se conjuguent en cette fin d’année :

– la pression sécuritaire, portée par l’affaire du financement de deux djihadistes par l’achat de coupons-bitcoins dans des bureaux de tabacs et la publication du rapport Tracfin (1 chapitre entier sur les actifs numériques !) ;

– la pression politique, avec un gouvernement qui cherche une réponse simple à un problème complexe – le financement d’un terrorisme de plus en plus low cost – et l’évaluation en cours de la France par le la Groupe d’Action Financière International (l’organisme en charge des normes international de lutte contre le blanchiment) ;

– la pression des PSAN eux-mêmes qui ne comprennent pas que malgré la lourdeur des procédures, la régulation française ne parvient pas à les protéger de la concurrence étrangère.

Coup de bluff ou couperet ?

Les sanctions prévues

Plusieurs types de sanctions peuvent théoriquement être prises à l’encontre des acteurs français ou étrangers non enregistrés au 19 décembre 2020.

D’abord des sanctions de nature administrative puisque l’AMF a rappelé son intention, d’une part, de publier à cette date une liste noire des prestataires non enregistrés accompagnée d’une mise en garde du public et, d’autre part, de demander en justice le blocage de l’accès aux sites internet des prestataires non enregistrés.

Ensuite des sanctions pénales que l’AMF pourra déclencher en dénonçant les prestataires non enregistrés au Procureur de la République, les peines encourues pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et une amende de 30.000 euros multipliable par cinq pour les personnes morales.

Sont concernés les prestataires exerçant sur le territoire français mais également les acteurs étrangers dès lors qu’ils visent le marché français. Le gouvernement a affirmé sur ce point vouloir mieux protéger les acteurs enregistrés en France de la concurrence étrangère en demandant à l’AMF d’intégrer dans son règlement les indices permettant de considérer qu’un acteur vise le marché français. Ces indices sont aujourd’hui les suivants : installation physique en France,  nom de domaine en .fr, communication en français, campagne à destination du marché français via la presse, les réseaux sociaux (invitations à des évènements, publicités ciblées, affiliation, retargetting publicitaires, etc.). Les prestataires étrangers répondant à tout ou partie de ces critères seront donc également dans le viseur des autorités.

Un risque juridique virtuel à court terme

Si le caractère dissuasif de ces sanctions est évident, deux considérations nous conduisent à estimer que leur application à compter du 19 décembre 2020 par les autorités financières relèvent davantage d’un effet d’annonce que d’une menace juridiquement tangible.

En premier lieu, nous constatons en pratique que les délais de traitement des demandes d’enregistrement PSAN auprès de l’AMF apparaissent excessivement longs et aléatoires pour les acteurs. Ces derniers peuvent parfois attendre plusieurs semaines avant d’obtenir une réponse à un simple courriel.

Si un accroissement des délais d’instruction des demandes peut s’entendre compte tenu du surcroît du nombre de dossiers devant être traité par l’AMF avant le 18 décembre 2020, faire porter entièrement les conséquences de ces difficultés administratives sur les acteurs nous semble excessif.

Cette difficulté apparaît d’autant plus problématique qu’en principe, une décision d’acceptation de la demande d’enregistrement intervient implicitement à l’expiration d’un délai de six mois suivant la réception du dossier complet.

Dans les faits, les autorités financières gardent la mainmise complète sur les délais de traitement puisqu’elles ne délivrent aucun récépissé attestant du dépôt d’un dossier complet et disposent dès lors d’une marge de manœuvre totale pour décider, plusieurs mois après le dépôt d’une demande, que le délai n’a donc pas commencé à courir. Or, cette pratique n’est conforme ni aux textes ni à la jurisprudence.

En second lieu, le délai de 12 mois laissé aux acteurs pour s’enregistrer a, selon toute vraisemblance, été prolongé par l’ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prolongation des délais pendant la période d’urgence sanitaire.

Ce texte prévoit une règle simple : les délais imposés par l’administration pour se conformer aux lois et aux règlements sont suspendus entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020.

Selon notre analyse, la loi a donc prolongé la date butoir pour s’enregistrer auprès de l’AMF a minima jusqu’au 29 mars 2021.

Comment réagir pour les prestataires sanctionnés ?

Dans ces conditions, il semble qu’à court terme au moins, le prononcé de sanctions administratives ou pénales à l’encontre des acteurs non enregistrés au 18 décembre 2020 soit emprunt d’un aléa juridique important et pourra faire l’objet de contestations juridictionnelles sérieuses y compris en urgence pouvant conduire, le cas échéant, à l’indemnisation des préjudices économiques subis par les acteurs.

Dans ce contexte, espérons que ce coup de bluff ne devienne pas un couperet au détriment d’un secteur à marche forcée vers la conformité.